

Le Royaume-Uni déploie la reconnaissance faciale en temps réel et à grande échelle
A l'entrée d'un supermarché, dans la foule d'un festival : des millions de Britanniques ont désormais le visage scanné par des technologies de reconnaissance faciale en temps réel, dans le seul pays européen à les déployer à grande échelle.
Au carnaval londonien de Notting Hill, où deux millions de personnes sont attendues dimanche et lundi pour célébrer la culture afro-caribéenne, des caméras utilisant ce procédé ont été installées aux entrées et sorties de la parade.
L'objectif, selon la police : "identifier et intercepter" en direct des personnes recherchées, en scannant les visages et en les comparant aux milliers de suspects dans sa base de données.
"La reconnaissance faciale en temps réel est un outil efficace (...) qui a permis plus de 1.000 arrestations depuis début 2024", a assuré Mark Rowley, le chef de la police de Londres, qui prévoit de "plus que doubler son usage" à l'avenir.
Le recours à ces technologies a déjà considérablement augmenté depuis trois ans, passant de dix opérations entre 2016 et 2019 à une centaine depuis début 2025.
Au total, les visages de 4,7 millions de personnes ont été scannés en 2024 au Royaume-Uni, note l'ONG Liberty.
Les caméras sont installées sur le toit d'un van, où opèrent des agents de police, et, lorsqu'un suspect passe à proximité, le système utilisant l'intelligence artificielle déclenche une alerte permettant d'immédiatement l'interpeller.
Son utilisation "à grande échelle" dans la capitale britannique, à l'occasion du couronnement de Charles III en 2023, ou à Cardiff cette année avant les concerts d'Oasis et les matchs du tournoi des Six Nations, transforme le Royaume-Uni en "un pays de suspects", s'inquiète l'organisation Big Brother Watch.
"Il n'y a pas de base législative (...) donc la police a le champ libre pour écrire ses propres règles", déclare à l'AFP Rebecca Vincent, sa directrice intérimaire.
Son usage privé par des supermarchés ou des magasins d'habillement pour lutter contre des vols à l'étalage en forte augmentation les préoccupe particulièrement, avec "très peu d'informations" sur leur collecte des données.
La plupart utilisent Facewatch, un prestataire qui constitue une liste de suspects d'infractions dans les magasins qu'il surveille, et donne l'alerte dès que l'un d'eux entre dans un de ces commerces.
"Ils devraient en informer clairement leurs clients", s'étonne, "très surprise", Abigail Bevon, une médecin légiste de 26 ans rencontrée devant une chaîne utilisant Facewatch à Londres. Si elle comprend l'utilité de cette technologie pour la police, elle juge "invasif" son usage par un commerce.
- Interdit dans l'UE -
Dans l'UE, la législation encadrant depuis février l'intelligence artificielle interdit le recours aux technologies de reconnaissance faciale en temps réel, avec des exceptions notamment pour la lutte antiterroriste.
Hormis quelques cas aux Etats-Unis, "il n'y a rien de comparable dans les pays européens ou dans d'autres démocraties, l'usage de cette technologie (au Royaume-Uni) s'apparentant davantage à celui d'Etats autoritaires comme la Chine", souligne Rebecca Vincent.
"Cela change la manière d'habiter en ville en supprimant la possibilité de vivre dans l'anonymat" et peut décourager la participation notamment aux manifestations, avertit Daragh Murray, maître de conférence à l'université Queen Mary de Londres.
La ministre de l'Intérieur Yvette Cooper a récemment promis un "cadre légal" pour délimiter son usage, mettant l'accent sur la lutte contre les "crimes graves".
Sans attendre, le Home office vient d'étendre le recours à ce procédé à sept nouvelles régions du Royaume-Uni.
Après les vans, des caméras permanentes doivent aussi être installées pour la première fois en septembre à Croydon, un quartier du sud de la capitale jugé difficile.
La police assure disposer de "garanties robustes", promettant de supprimer les données biométriques des personnes n'ayant rien à se reprocher.
Mais le régulateur britannique chargé des droits humains a estimé mercredi que l'utilisation de cette technologie par les policiers londoniens était "illégale" car "incompatible" avec le respect de ces droits.
Onze organisations, dont Human Rights Watch, avaient exhorté la police à renoncer à l'utiliser pendant le carnaval de Notting Hill, l'accusant dans une lettre de "cibler injustement" cette communauté et insistant sur les biais raciaux de l'IA.
Elles citent le cas de Shaun Thompson, un homme noir arrêté après avoir été identifié à tort par l'une de ces caméras, qui a déposé un recours en justice contre la police londonienne.
L.Sundstrom--StDgbl